samedi 5 mai 2012

Une lettre, pas n'importe laquelle...

             « Pierre, mon amour,
   Je ne sais pas quand tu recevras cette lette. Je sais seulement que je l’écris aujourd’hui et qu’aujourd’hui je t’aime et que nous sommes heureux. Et que cela seul compte.
   Je suis juive. Pierre. Comme tu es juif. Pardonne-moi de ne pas te l’avoir dit. Je ne voulais pas ajouter mon malheur à ton malheur, nous nous cachons. Depuis des mois, nous vivons avec de faux noms.
   Mais je m’appelle bien Rebecca. Et je ne t’ai menti sur rien d’essentiel. Je ne t’ai menti sur rien. Simplement, je ne t’ai pas dit que j’étais juive. Tu ne me l’as pas demandé. Cela n’ajoutait rien à notre amour. Cela ne lui retirait rien.
   Tu n’avais pas peur je le sais. Peut-être vivais-tu dans un rêve, malgré ce qui s’était passé à Saint-Mard. Je t’aimais dans ton rêve. Pierre. Que je sois juive, ce n’était pas un rêve, hélas. C’était notre peur de tous les jours. Les cris d’angoisse de ma mère. Les soupirs de mon père. Avec toi, je n’avais pas peur. Parce que tu n’avais pas peur.
   Mais si tu m’avais sue juive, Pierre, n’aurais-tu pas tremblé pour moi, n’aurais-tu pas tremblé pour notre amour ?
   Oh, Pierre, si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis plus là. C’est que tu n’es plus là, près de moi. C’est que nous sommes séparés.
   Papa dit que nous devons être prêts, qu’ils peuvent venir à chaque instant. Beaucoup de nos amis ont déjà été emmenés. Il nous faudrait vivre comme des taupes. Mais moi, je veux vivre à la lumière. Mais moi, je veux vivre près de toi, contre toi, avec toi. Je veux être toi. Je veux que nous soyons qu’un seul bonheur. Au soleil. Pas dans l’ombre.
   Pierre, mon amour, ne sois pas triste, ne sois pas désespéré. Tu ne me verras pas pendant quelques jours. Je ne verrai pas pendant quelques jours tes sourcils en accent circonflexe qui me questionnaient si bien quant j’avais quelques secondes de retard. Quelques secondes, c’est vrai, cela te faisait rugir. Mais j’aimais te savoir inquiet. J’aimais te savoir fâché sur les instants que j’avais passés loin de toi.
   Moi aussi, Pierre, je ne vivais que dans tes bras. Je ne respirais bien qu’avec ton souffle. Toutes nos minutes, toutes nos heures furent des fêtes.
   Je parle au passé. C’est idiot. Tu n’es pas mort. Je ne suis pas morte. Simplement des gens ont décidé de nous séparer. Mais que pourront-ils contre nous ? Que pourront-ils contre notre amour ?
   Au moment où j’écris ces lignes, j’ai peur. J’ai peur en pensant que tu les liras loin de moi. Que je ne sentirai pas contre moi ta force et ta vie. Souviens-toi de notre rencontre. Souviens-toi des rutabagas qui roulaient sur le trottoir. Souviens-toi de nos premières paroles, de nos premiers gestes ensemble, de notre premier baiser.
   Je voulais t’écrire des choses graves et il me semble que je plaisante. Rions, Pierre. Rions jusqu’au bout du monde.
   Je ne suis pas partie pour longtemps. Je suis au bout de la rue. Je suis partie acheter un kilo de rutabagas. Je t’aime. Je vais revenir. Pense à moi si fort que je sente ta pensée se cogner contre mon front. Je t’aime. Je vais revenir. Attends-moi. Je t’aime. Ne regarde pas les nuages.

        Rebecca ».
J’ai eu l’envie d’ajouter ce lien : L’hymne à l’amour, Édith Piaf. 
J’ai aimé plusieurs passages, mais celui-ci m’a particulièrement émue. Vous voyez quand vos poils se dressent ? Hé bien, c’est exactement ça ! Ils sont ‘jeunes’ mais déjà tellement fusionnels. Même si Rebecca dit qu’elle va revenir, nous, lecteurs, nous en doutons, et on se dit : « Que va-t-il faire si Rebecca venait à mourir ? »… Nous avons toujours un peu d’espoir qu’il la retrouve.

Mais, après quelques pages, nous apprenons que Rebecca est morte dans les camps avec ses parents… Je passe de la tristesse à la révolte : « Comment est-ce possible d’en arriver là ? Pourquoi avoir suivi ces dictateurs sans aucun esprit critique ? Il fallait suivre le mouvement, et c’est bien triste !

J’ai aussi choisi cet extrait car c’est un  passage plutôt poétique, dans cette lettre, il y a beaucoup d’amour mais il y a aussi des jeux sur la langue. Nous rencontrons beaucoup d’anaphores, de phrases identiques seulement différentes par le sujet etc. Tout cela rend cette lettre mélodieuse et rythmée. Elle est agréable à lire en plus d’être touchante.

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